Un ange venait de passer.
Un homme assis au fond du bar
le regarda s’éloigner et se mit à sourire avec un brin de tristesse qu’il
semblait vouloir cacher.
Il avait le visage mal rasé,
quelques cernes sous les yeux, les épaules affaissées, mais un regard empli de
tendresse.
On n‘était pas au bord de la
mer et pourtant j’imaginais qu’il avait été marin dans sa vie.
Pas un marin pêcheur, mais
plutôt un marin de commerce sur ces grands navires qui parcourent le monde.
Je pensais qu’il devait être
un homme épris de liberté, avide du
grand large, heureux de découvrir des pays différents, un bourlingueur comme on
dit.
Une femme dans chaque
port ? J’en doute. Mais surement une grande histoire d’amour…
J’imaginais une jolie femme à
la peau doré sur une île accueillante.
J’imaginais de belles
étreintes, des yeux qui se fondent, des nuits à contempler la mer et les
étoiles, et l’envie d’en profiter abondamment !
C’est à ce moment-là que
l’homme a levé la tête vers moi et m’a dit :
« Je sais que tu
m’observes depuis un moment.
Tu vois, j’étais fils de
marinier, et le soir avant de me coucher, mon père me racontait des histoires
qu’il inventait lui-même. Elles parlaient de grand large, de pays lointains, de
liberté, de femmes à la peau dorée.
En fait, il me racontait
toujours un peu la même histoire…
Ma mère était tombée amoureux
de lui quand ils étaient jeunes. Il était alors marin de commerce, mais en
raison d’un problème de santé, il avait été réformé et dû se résoudre à
naviguer sur les canaux.
Et puis, il faut que je te
dise que ma mère avait une expression favorite qu’elle énonçait
systématiquement dans les repas de famille, quand plus personne ne parlait et
qu’il s’installait un silence gênant : « un ange passe… »
J’étais encore petit, mais
j’avais remarqué qu’à chaque fois que cela se produisait, mon père esquissait
un sourire qui soulignait ses yeux brillants.
Il n’avait jamais voulu
m’expliquer cette sorte de béatitude…
Et puis à la mort de ma mère,
il m’avoua que lors d’une escale prolongée aux Antilles, en raison d’une avarie
de moteur, il était tombé amoureux d’une jeune femme avec qui il avait passé
des journées magnifiques et à qui il répétait sans cesse : « Tu es un
ange, tu es un ange ».
Tu sais, il respectait sa
femme, alors cette rencontre resta éphémère, mais lorsqu’elle prononçait son
fameux « un ange passe », il ne pouvait s’empêcher de penser à sa
belle antillaise.
J’admirais mon père, mais
quand il est parti à son tour, je me suis mis en tête de chercher mon
antillaise à moi, accueillante, généreuse et sucrée et de faire ma vie autour
d’elle et non l’inverse.
Mais de plage idyllique, je
n’ai connu que le sablier du temps et chaque fois que je vois passer un ange,
je ne peux m’empêcher de sourire en essayant de faire en sorte que personne n’y
décèle la moindre tristesse… »
Puis il s’est levé, s’est
dirigé vers la porte, et avant de la franchir, il s’est retourné vers moi et
m’a dit, les yeux brillants : « A demain ? Il repassera
surement…. »
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