mercredi 30 septembre 2015

Miroir


Tobie Nathan

J'ai écouté ce philosophe sur des médias français.
Je n'ai pas retrouvé une phrase qui synthétiserait sa pensée, mais en gros, il disait:
"Si vous donnez quelque chose à quelqu'un, assurez vous qu'il pourra vous rendre quelque chose en échange, sinon, vous l'asservirez davantage."

Je trouve ça digne de réflexion... 

lundi 21 septembre 2015

Un ange passe



Un ange venait de passer.
Un homme assis au fond du bar le regarda s’éloigner et se mit à sourire avec un brin de tristesse qu’il semblait vouloir cacher.
Il avait le visage mal rasé, quelques cernes sous les yeux, les épaules affaissées, mais un regard empli de tendresse.
On n‘était pas au bord de la mer et pourtant j’imaginais qu’il avait été marin dans sa vie.
Pas un marin pêcheur, mais plutôt un marin de commerce sur ces grands navires qui parcourent le monde.
Je pensais qu’il devait être un  homme épris de liberté, avide du grand large, heureux de découvrir des pays différents, un bourlingueur comme on dit.
Une femme dans chaque port ? J’en doute. Mais surement une grande histoire d’amour…
J’imaginais une jolie femme à la peau doré sur une île accueillante.
J’imaginais de belles étreintes, des yeux qui se fondent, des nuits à contempler la mer et les étoiles, et l’envie d’en profiter abondamment !

C’est à ce moment-là que l’homme a levé la tête vers moi et m’a dit :
« Je sais que tu m’observes depuis un moment.
Tu vois, j’étais fils de marinier, et le soir avant de me coucher, mon père me racontait des histoires qu’il inventait lui-même. Elles parlaient de grand large, de pays lointains, de liberté, de femmes à la peau dorée.
En fait, il me racontait toujours un peu la même histoire…
Ma mère était tombée amoureux de lui quand ils étaient jeunes. Il était alors marin de commerce, mais en raison d’un problème de santé, il avait été réformé et dû se résoudre à naviguer sur les canaux.
Et puis, il faut que je te dise que ma mère avait une expression favorite qu’elle énonçait systématiquement dans les repas de famille, quand plus personne ne parlait et qu’il s’installait un silence gênant : « un ange passe… »
J’étais encore petit, mais j’avais remarqué qu’à chaque fois que cela se produisait, mon père esquissait un sourire qui soulignait ses yeux brillants.
Il n’avait jamais voulu m’expliquer cette sorte de béatitude…
Et puis à la mort de ma mère, il m’avoua que lors d’une escale prolongée aux Antilles, en raison d’une avarie de moteur, il était tombé amoureux d’une jeune femme avec qui il avait passé des journées magnifiques et à qui il répétait sans cesse : « Tu es un ange, tu es un ange ».
Tu sais, il respectait sa femme, alors cette rencontre resta éphémère, mais lorsqu’elle prononçait son fameux « un ange passe », il ne pouvait s’empêcher de penser à sa belle antillaise.
J’admirais mon père, mais quand il est parti à son tour, je me suis mis en tête de chercher mon antillaise à moi, accueillante, généreuse et sucrée et de faire ma vie autour d’elle et non l’inverse.
Mais de plage idyllique, je n’ai connu que le sablier du temps et chaque fois que je vois passer un ange, je ne peux m’empêcher de sourire en essayant de faire en sorte que personne n’y décèle la moindre tristesse… »

Puis il s’est levé, s’est dirigé vers la porte, et avant de la franchir, il s’est retourné vers moi et m’a dit, les yeux brillants : « A demain ? Il repassera surement…. »

mardi 8 septembre 2015

Un bateau rigolo



Quand l’enfant posa délicatement son bateau sur le petit ruisseau qui coulait en bas du jardin, il savait très bien qu’il était trop petit pour maîtriser les techniques de la construction navale.
Il avait piqué quelques bouts de bois dans l’atelier de son papa, et avec quelques clous, un peu de ficelle et de la glue extra forte, il avait réussi à réaliser une sorte de navire qu’il avait qualifié de « rigolo ».
Et pour terminer son chef-d’œuvre,  il avait pris son mouchoir dans la poche et en avait fait une voile multicolore.

La mise à l’eau fut pourtant satisfaisante et l’ensemble résista au clapotis du petit cours d’eau.
L’enfant joua un moment dans le renfoncement où il venait souvent patauger quand il faisait chaud,  et puis tout à coup, il poussa son bateau, comme par défi, vers le milieu du ruisseau.
Celui–ci tangua un peu, semblant vouloir chavirer à chaque instant, puis s’aligna dans le sens du courant et s’en alla presque majestueusement.

L’enfant le suivi jusqu’au bout du jardin, puis grimpa sur le muret qui le limite et éclata de rire en le regardant s’éloigner.
Il fonça alors prendre son vélo, dévala la route jusqu’au pont situé à l’entrée du village et vit son embarcation se jeter du ruisseau dans la rivière et accélérer avec le courant devenu plus puissant.

L’enfant resta le regarder jusqu’à ce qu’il disparaisse à la première courbe et devint tout triste.
Oh, non ! Pas de se dire qu’il ne le reverrait plus, mais simplement parce qu’il n’avait pas pensé à écrire un petit mot qu’il aurait pu par exemple glisser dans une bouteille d’échantillon de parfum de sa maman.

Il y aurait mis son nom, son adresse,  et  quelque-chose comme : «je suis un gentil garçon, bricoleur et rêveur. Si vous trouvez mon bateau échoué sur un plage lointaine, écrivez-moi, s’il vous plait ».

Et le soir, avant de se coucher, il regarda une mappemonde dans le bureau de son papa, avec les yeux brillant en imaginant l’endroit où il pourrait arriver, et puis s’endormit en se disant que de toute façon, il avait toutes les chances de se faire écraser par un de ces supers tankers qu’il avait vu à la télévision.

Il ne savait pas alors, que le lendemain, la jolie petite fille aux cheveux blonds bouclés, à qui il n’osait pas parler à l’école et qui habitait à l’autre bout du village, sonnerait à sa porte.
« Il s’est emmêlé dans les branchages près du lavoir en bas de chez moi et j’ai reconnu ton mouchoir avec tes initiales. »  Et en lui tendant son bateau, elle ajouta : «  Il est très…. rigolo !!! »

samedi 5 septembre 2015

Quand la mer se marre...





Je savais que la mer pouvait me prendre, me renverser, m’engloutir et me rejeter à sa guise sur le sable.

Je ne savais pas qu’elle pouvait se marrer du bon tour qu’elle venait de me jouer.

Je n’avais pas les moyens de ma solitude. Elle le savait.

Elle n’avait plus qu’à inviter le vent, voiler le soleil, noircir les rochers et j’étais fait comme un rat.

A quoi bon alors résister…

Je l’ai pourtant aimée, admirée, sublimée, et même invitée dans mes rêves de plénitude.

Je suis toujours allé vers elle, je l’ai toujours remerciée, je lui ai offert mes mots, la musique qu’elle souhaitait, j’ai cru en son parfum, je lui ai donné toute ma patience.

Elle n’avait pas le droit de rire de moi et de me laisser là, fracassé sur le sable comme un débris de bateau naufragé.

Je ne pouvais plus bouger. J’avais froid et rétrospectivement peur.

Je pensais à une vengeance forte, complète et définitive.

J’en appelais aux fantômes des pirates, aux sirènes humiliées, aux princes des abîmes maritimes,  aux châteaux d’enfants éparpillés par les marées.

J’ai hurlé à la lune : « la mer n’est qu’une sale putain ! »

Et j’ai pleuré, beaucoup pleuré, tandis qu’elle se parait d’un gros nuage méprisant.

Puis je me suis laissé avaler par ce silence relatif des bords de mer. Le clapotis de l’eau, les cliquetis lointains sur les mâts des bateaux ancrés pour la nuit, le roulement des cailloux arrondis par les marées successives.

Demain, il faudra quand même se redresser.

Moi qui ne suis ni marin, et encore moins capitaine, il me faudra prendre un cap, m’éloigner avec ce rire qui résonne encore et mes vêtements humides et salinés.

Tu as rendu le poète minable, la mer, mais je n’ai pas dit mon dernier mot.

Je reviendrai…