mardi 8 septembre 2015

Un bateau rigolo



Quand l’enfant posa délicatement son bateau sur le petit ruisseau qui coulait en bas du jardin, il savait très bien qu’il était trop petit pour maîtriser les techniques de la construction navale.
Il avait piqué quelques bouts de bois dans l’atelier de son papa, et avec quelques clous, un peu de ficelle et de la glue extra forte, il avait réussi à réaliser une sorte de navire qu’il avait qualifié de « rigolo ».
Et pour terminer son chef-d’œuvre,  il avait pris son mouchoir dans la poche et en avait fait une voile multicolore.

La mise à l’eau fut pourtant satisfaisante et l’ensemble résista au clapotis du petit cours d’eau.
L’enfant joua un moment dans le renfoncement où il venait souvent patauger quand il faisait chaud,  et puis tout à coup, il poussa son bateau, comme par défi, vers le milieu du ruisseau.
Celui–ci tangua un peu, semblant vouloir chavirer à chaque instant, puis s’aligna dans le sens du courant et s’en alla presque majestueusement.

L’enfant le suivi jusqu’au bout du jardin, puis grimpa sur le muret qui le limite et éclata de rire en le regardant s’éloigner.
Il fonça alors prendre son vélo, dévala la route jusqu’au pont situé à l’entrée du village et vit son embarcation se jeter du ruisseau dans la rivière et accélérer avec le courant devenu plus puissant.

L’enfant resta le regarder jusqu’à ce qu’il disparaisse à la première courbe et devint tout triste.
Oh, non ! Pas de se dire qu’il ne le reverrait plus, mais simplement parce qu’il n’avait pas pensé à écrire un petit mot qu’il aurait pu par exemple glisser dans une bouteille d’échantillon de parfum de sa maman.

Il y aurait mis son nom, son adresse,  et  quelque-chose comme : «je suis un gentil garçon, bricoleur et rêveur. Si vous trouvez mon bateau échoué sur un plage lointaine, écrivez-moi, s’il vous plait ».

Et le soir, avant de se coucher, il regarda une mappemonde dans le bureau de son papa, avec les yeux brillant en imaginant l’endroit où il pourrait arriver, et puis s’endormit en se disant que de toute façon, il avait toutes les chances de se faire écraser par un de ces supers tankers qu’il avait vu à la télévision.

Il ne savait pas alors, que le lendemain, la jolie petite fille aux cheveux blonds bouclés, à qui il n’osait pas parler à l’école et qui habitait à l’autre bout du village, sonnerait à sa porte.
« Il s’est emmêlé dans les branchages près du lavoir en bas de chez moi et j’ai reconnu ton mouchoir avec tes initiales. »  Et en lui tendant son bateau, elle ajouta : «  Il est très…. rigolo !!! »

samedi 5 septembre 2015

Quand la mer se marre...





Je savais que la mer pouvait me prendre, me renverser, m’engloutir et me rejeter à sa guise sur le sable.

Je ne savais pas qu’elle pouvait se marrer du bon tour qu’elle venait de me jouer.

Je n’avais pas les moyens de ma solitude. Elle le savait.

Elle n’avait plus qu’à inviter le vent, voiler le soleil, noircir les rochers et j’étais fait comme un rat.

A quoi bon alors résister…

Je l’ai pourtant aimée, admirée, sublimée, et même invitée dans mes rêves de plénitude.

Je suis toujours allé vers elle, je l’ai toujours remerciée, je lui ai offert mes mots, la musique qu’elle souhaitait, j’ai cru en son parfum, je lui ai donné toute ma patience.

Elle n’avait pas le droit de rire de moi et de me laisser là, fracassé sur le sable comme un débris de bateau naufragé.

Je ne pouvais plus bouger. J’avais froid et rétrospectivement peur.

Je pensais à une vengeance forte, complète et définitive.

J’en appelais aux fantômes des pirates, aux sirènes humiliées, aux princes des abîmes maritimes,  aux châteaux d’enfants éparpillés par les marées.

J’ai hurlé à la lune : « la mer n’est qu’une sale putain ! »

Et j’ai pleuré, beaucoup pleuré, tandis qu’elle se parait d’un gros nuage méprisant.

Puis je me suis laissé avaler par ce silence relatif des bords de mer. Le clapotis de l’eau, les cliquetis lointains sur les mâts des bateaux ancrés pour la nuit, le roulement des cailloux arrondis par les marées successives.

Demain, il faudra quand même se redresser.

Moi qui ne suis ni marin, et encore moins capitaine, il me faudra prendre un cap, m’éloigner avec ce rire qui résonne encore et mes vêtements humides et salinés.

Tu as rendu le poète minable, la mer, mais je n’ai pas dit mon dernier mot.

Je reviendrai…